Le bout du monde
Randonner, c’est, pour la plupart d’entre nous, marcher sur la terre ferme, là où il est possible de suivre les vents de toutes les directions. Et puis, il y a la mer : stop ! Le jeu s’arrête, c’est finisterre. Sauf en ces endroits où des îlots marquent avec leurs pointillés un chemin pour des géants. Notre esprit s’y aventure seul, nous laissant sur le rivage…
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L’oasis
Il s’agit ici de l’oasis de Terjit en Mauritanie, mais qu’importe : qu’elle s’appelle Ghardaia, Siwa, Kufra, Er-Rachidia, Douz, c’est toujours un moment magique où le vert apparaît sur le jaune, où l’humide apparaît sur le sec, où la vie trouve sa source. Il y a si peu dans une oasis, rien d’autre que quelques palmiers, des chants d’oiseaux et un peu de fraîcheur ; pourtant, le voyageur est comblé. L’oasis est un lieu alchimique où presque rien devient tout.
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Femme,
femme du monde, femme du désert, tu es près de ta tente mais tes yeux sont perdus dans un rêve lointain. Qu’y a-t-il dans les yeux du trekkeur ?
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Le regard du peintre : le « kat-kat »
« Tamanrasset », « Chinguetti », « Douz »… Le rêve du désert : aller sur les traces du « Père de Foucault » ou de « Théodore Monod». Voilà les noms qui nous font rêver. Mais le vaisseau du désert aujourd’hui s’appelle « kat-kat », et votre guide s’enflammera au nom de « Land Rover », « Toyota » ou « Mitsubishi ». Parfois pour aller vers notre espérance, nous avons besoin d’être portés par l’espérance de l’autre.
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La Grande Muraille
La plus longue construction humaine au monde : 6700 kms. Bien sûr, pour peu que l’on ait voyagé en Chine, on l’a vu, on y a marché : mais toujours dans nos petites limites. Alors je me prends à rêver d’un trek vraiment extraordinaire : suivre la muraille, un an de marche, toutes les saisons, aller à la rencontre de la Chine par ce qu’elle a de plus exceptionnel. Un grand rêve.
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Nomades et sédentaires
Dans le trek, il y a ceux qui marchent, et ceux qui regardent marcher. Certains aboient, et le trekkeur passe ; d’autres se contentent de ruminer, tranquilles, ayant fait le choix de la sédentarité, sauf bien sûr s’il s’agit de vaches montées en alpage. Dans ce cas, le trekkeur salue avec respect…
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Les plus petites choses
Une fois que l’on a fait le Tour du Mont Blanc, la Grande Traversée des Alpes, le Chemin de Saint Jacques, le Tour des Annapurnas, le Grand Erg oriental, Attar-Chinguetti, une fois que l’on a fait le tour des Grands Lacs de l’Afrique de l’ouest, une fois que l’on a traversé la Cordillère des Andes de Panama au cap Horn, que reste-t-il à voir ? Il reste à changer la focale du regard, regarder les petites choses qui sont là, juste à côté, prendre le temps et apprécier ce qui est sous nos pieds. Un bonheur à la portée de tous les randonneurs : pas sûr…
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Le pied du trekkeur
L’inconvénient le plus ridicule, celui qui fait que vous êtes le moins un « vrai » trekkeur : la phlyctène… l’ampoule, si vous préférez. De toutes façons, on dit « bête comme ses pieds », s’y prendre « comme un pied » ; haro donc sur le pied ! 26 os, 16 articulations, 107 ligaments, 20 muscles : voilà le système extraordinaire que le trekkeur enferme dans sa chaussure, solide comme une place forte et puante comme un fromage, avec un seul but : ne plus y penser. Et pourtant, le pied, c’est ce qui me permet d’être un homme debout. Trekker, n’est-ce pas aller où nos pieds nous mènent ?… Réhabilitons donc cet organe que l’on ne saurait voir : trekkeuses, trekkeurs, prenez votre pied en le suivant !
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Le temps arrêté : Leh au Ladakh
Aller à Leh, c’est remonter dans le temps : Le voyage en avion est encore une aventure : après l’annulation à cause du vent le premier jour, le retour si près du but le deuxième, ce n’est qu’au troisième jour que le 737 arrive à percer les nuages pour atterrir, après avoir zigzagué dans la vallée, sur l’unique piste. Un pays sans touristes, en hiver. Hormis pour les produits de première nécessité, tout est fermé ; il faut dire que le froid est vif : l’eau n’arrive plus à couler dans les maisons. Seuls «étrangers» présents, les militaires indiens : mais qu’est-ce qu’ils ont froid dans leurs bottes en caoutchouc ! Le petit Potala domine un paysage qui est le même depuis des siècles ; les peupliers et les maisons basses à toit plat donnent le sentiment d’une oasis éternelle. Les noms ont une saveur millénaire : Indus, la limite du monde pour Alexandre.
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Vers le camp de base
Certaines pierres sont plus résistantes et forment comme des îles sur ce flot du chemin que nous empruntons. Il y a dans cette marche quelque chose de l’ordre du bateau qui suit un fleuve : la poussière se soulève de dessous les pieds en petites éclaboussures qui retombent avec lenteur. L’air est sec et charrie finalement peu de parfums, excepté celui des fleurs qui commencent à venir. Les rhododendrons commencent à faire éclater leurs salves rouges ; et il y aussi ces magnifiques orchidées blanches. On rencontre pourtant l’odeur du crottin ou de l’urine de mule. Les bruits sont très peu nombreux : quelques oiseaux, un couinement de chaussure ou un frottement du vêtement qui accompagne la marche, ou encore le petit tuyau qui amène l’eau à la maison au bord du chemin et qui glougloute, qui chuinte ; les cloches des mules sont assez rares ; elles rendent un son aigrelet, mince qui ne rappelle pas le son gras et rond des vaches d’alpage. Parfois, près d’un village, on voit s’envoler toute une troupe de pigeons des neiges. Blanc et gris clair, avec une tête gris foncée qui contraste et de larges bandes blanches sur la queue, ils s’envolent à l’unisson, décrivent de grands cercles avant de se reposer un peu plus loin. Et pour permettre de prendre la mesure exacte de cette nature, on entend deux ou trois fois par jour la turbine de l’hélicoptère, bruit incongru, ravageur et parfaitement étranger à la qualité de cet environnement, où le randonneur retrouve son animalité, non qu’il se fasse tigre ou mule, mais le corps retrouve un espace d’existence : le muscle n’agit plus dans une machinalité inconsciente qui le renvoie à une absence d’existence ; son mouvement répété induit son existence devenue spatiale.
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Dans la forêt humide
Des fougères scolopendres poussent sur les rhododendrons géants tandis que passent les trekkeurs himalayens.
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Monastère
Les molosses, qui se retrouvent dans la plupart des monastères, enchaînés dans leur niche, sont réveillés par d’autres chiens plus petits. Les grondements sont tibétains. Odeurs du thuya odoriférant que l’on fait se consumer sur les charbons de bois, d’encens et de l’huile des lampes. Vision d’une pénombre rouge : tous les moines sont habillés de bordeaux, mais qui avec un blouson Adidas, qui des chaussures Nike ou un jean sous la robe. Danse des flammes des bougies dans le courant d’air. Les brocards de soie brillent doucement dans l’ombre : rouge, jaune, vert et fils d’or. Musique terrible : cymbales dont les vibrations sont prolongées ou arrêtées, trompettes graves ou aigues, hautbois, tambour recouverts de cuir repoussé, conques, os humains, et surtout clochettes qui rythment la mélopée.
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Tashidelek
Encore un de ces grands monastères tibétains, source d’une spiritualité millénaire, qui se transmet de génération en génération.
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Le goût de thé : les cuisines du monastère de Drepung au Tibet
Aller à Leh, c’est remonter dans le temps : Il y a celui de Proust : « Je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause ». Il y a aussi celui de la Parisienne de Lhassa : « Yongden alla chercher de l’eau à la rivière et nous préparâmes du thé à la mode tibétaine, c’est-à-dire qu’après l’avoir fait bouillir, nous y ajoutâmes du beurre et du sel dans la marmite même, d’après la façon simplifiée des voyageurs pauvres… » Combien en ai-je bu dans ces petites tasses à couvercle avec les moines : les offices sont si longs et il fait si froid ! Et quand on sait qu’il s’agit de beurre rance de yack et de sel rose de l’Himalaya, la quête d’authenticité est satisfaite jusqu’à plus soif. J’ai pourtant fini par m’y habituer, mais j’en conserve intacte toute la saveur à mon palais.
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Yacks népalais
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Chorten au Sikkim
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Nuages
Jours difficiles à Namche Bazar (3440m) dans le mauvais temps, les nuages et la neige qui donne l’effet d’être réellement en hiver. La saison est difficile car les nuages sont présents à partir de 11 heures ; la lumière est grise, blafarde ; il fait froid. On ne peut pas peindre dehors. On ne voit rien par les fenêtres. Ambiance un peu surréaliste d’un temps qui s’échappe dans un halo imprécis. Coup en fil en France : vague d’émotions, à la fois proches et lointaines.
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Retour d’expé
« Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage… et puis est retourné… » à son hôtel.
Qui dira la satisfaction du projet réalisé et puis ( et surtout ?), celle de quitter les chaussures humides qui puent, de prendre une douche pour décrasser fatigue et sueur accumulées, de laisser un sac de couchage trop étroit pour des draps propres, de s’alléger des quinze kilos d’un sac devenu à force difformité naturelle, de retrouver le plaisir de la première gorgée de bière…
Passage entre l’action de l’aventure et l’action quotidienne, le retour d’expé est un moment post orgasmique de bonheur suspendu.
Patrick Jager
(Peinture : il s’agit de ma chambre d’hôtel à Darjeeling au retour du camp de base du Kangchenjunga.)
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Les peintures présentées sont à vendre.
Patrick JAGER - Hameau de l'Église - 38120 PROVEYSIEUX Tél : 04 76 56 85 67 - E-mail : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
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