" Ce n'est pas le but qui compte, c'est le voyage lui-même " Proverbe zen
Avant-propos
Pourquoi, pourquoi suis-je parti du Puy vers Saint-Jacques de Compostelle, vers ce finisterre occidental, alors que la trace de mes pas allait régulièrement vers l'orient ? Marcher vers l'ouest est pour moi un retour en arrière, une anti-voie… Depuis mon adolescence, je me suis dirigé vers le soleil levant : de la Grèce à la Turquie, de la Turquie à l'Iran, l'Afghanistan, le Pakistan, l'Inde, le Népal, La Thaïlande, la Malaisie, avec de longues haltes en Syrie et dans les Emirats, toujours plus à l'est, toujours plus près d'une spiritualité qui m'interpelle. Et c'était les derviches de Mevlana, et les rubbayats d'Omar Khayam, les ghazels de Hafez, l'Offrande Lyrique de Tagore, la rencontre du Panchen Lama, la méditation avec Vivekananda et l'envie d'aller vers le pays de la plaine des 1000 pagodes, et puis tout à coup, ce virage à 180° ; cette volte-face, dans une direction qui m'est inconnue, l'ouest. Marcher vers l'ouest, vers un inconnu -ou bien était-ce, ce trop connu de mon enfance catholique, avec le catéchisme au couvent des sœurs dont le portail du monastère s'ombrageait de lilas, et la place sur laquelle il s'ouvrait, possédait une statue romaine de victoire qui se confondait pour moi avec celle d'un ange gardien, vers ces cantiques dont les paroles et la musique me poursuivent encore aujourd'hui, racines plus profondes que celles du chêne de Pech Merle, avec ces messes un peu ennuyeuses où l'on va endimanché, les chaussures cirées et de l'eau de Cologne dans les cheveux, et où il faut rester tranquille même si l'on ne comprend pas grand chose à ce que fait le curé, mais aussi tous ces prétextes à festoiements familiaux où l'enfant voudrait croire à la pureté sur terre tandis que les convives racontent des histoires graveleuses, où la recherche de la montre, cadeau obligé de première communion et du menu du restaurant, le meilleur de la ville, duquel on sort ballonné et débraillé pour aller aux vêpres, est la seule chose qui semble intéresser des adultes pour lesquels le catholicisme se réduit à une obligation sociale dépourvue de profondeur, d'élan, de toute valeur autre qu'incarnée. Comment un enfant ne romprait-il pas les ailes de son idéalisme à ces pesanteurs que rien ne vient transcender ?... Mais de cette première floraison, sans doute quelque graine était-elle restée, attendant longuement le temps de sa germination, et si aujourd'hui, les collusions entre l'Eglise et le pouvoir m'insupportent plus que jamais, depuis cet évêque de Dallas dont j'ai oublié le nom, et c'est tant mieux, qui bénissait les mitrailleuses partant pour le Viet-Nam jusqu'à la très contreversée canonisation de José-Marie de la Cruz, en passant par les liens entre la Banque Ambrosiano et la Mafia, j'ai pourtant découvert que cette sensation de l'éternel, ce sentiment océanique qui caractérisent l'expérience mystique existaient aussi chez les chrétiens, mais je ne l'avait pas vu. Hildegarde de Bingen, Thérèse d'Avila, Maître Eckhart, François d'Assise et bien d'autres ont eux aussi connu une aveuglante lumière intérieure. Et la relecture du petit livre bleu (comme la goutte d'eau dans laquelle le maître zen me dit que je peux disparaître…), de cet Evangile de Luc donné par les chanoines de Conques, apporte lui aussi sa part d'une lumière oubliée longtemps sous le boisseau. Partir sur le chemin de Compostelle correspondait sans doute à la nécessité d'une pacification intérieure, où les racines de l'enfance ne sont plus en conflit avec les réalisations de l'homme mûr. Ce saint-Jacques guerrier, tueur de Maures, aura été pour moi l'occasion finalement un apôtre pacificateur : n'est-ce pas un petit miracle de plus ? C'est aussi boucler la boucle du voyage, après avoir connu les chants enchanteurs de l'Orient, revenir " plein d'usage et raison… vivre entre ses parents le reste de son âge " ; dans un retournement de direction, c'est, avec une identité enrichie par le voyage, avec une réalité d'être qui était virtuelle et que les confrontations ont permis de réaliser. Après avoir marché plein Est, pendant des années, il faut bien faire ce demi-tour, ce virage à 180° pour revenir chez soi. " Où allons-nous donc ? " demande Novalis dans Henri d'Hofterdingen, " Toujours à la maison ! " est la réponse. Aller à Compostelle a été un retour vers moi.
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